Le mot du Président
MAX MAMOU
UN PASSEPORT, ET APRES...?
Chers Amis,
Me croirez-vous si je vous dis que je suis venu ici pour vous parler d’un « bout de papier » ?
Voyez-vous de quoi il s’agit ? Quel est ce « bout de papier » qui a le pouvoir de nous rapprocher mais aussi celui de nous séparer ?
Eh bien, ce « bout de papier » dont je suis venu vous parler ici aujourd’hui c’est le passeport, objet mondial par nature et par excellence.
Né à Corfou en 1895, Albert Cohen a consacré à ce « bout de papier » une grande partie de sa vie professionnelle. Devenu adulte, Cohen n’a-t-il pas avoué qu’il s’agissait du « livre » dont il était « le plus heureux » et aussi « le plus fier » ?
Ce « bout de papier » donc, qu’il nous dit être « son plus beau livre » c’est le Passeport Cohen pour réfugiés, personnes déplacées et apatrides. Il offre à ses détenteurs une véritable pièce d’identité et un titre de voyage assorti d’une protection internationale assurée par l’Organisation des Nations-Unies. Consacré par l’Accord de Londres du 15 octobre 1946 dont il est l’auteur, son texte a été repris - mot pour mot - par l’article 28 de la Convention de Genève de 1951.
Ce droit des « sans-droits » et des « sans-papiers » est toujours en vigueur.
Les États signataires de la Convention de Genève sont engagés à le mettre à disposition de tout réfugié ou apatride reconnu comme tel dans leur pays ou dans un pays tiers, signataire de la Convention.
En 2013, à Corfou, nous avions rappelé la contribution du scientifique norvégien et prix Nobel de la paix, Fridtjof Nansen, qui a conçu - à la demande de la Société des Nations - au début des années 20, le premier certificat d’identité et de voyage pour les populations apatrides russes et arméniennes en grande détresse, à l’époque.
On en retrouve la trace du premier passeport dès le 5ème siècle avant l’ère actuelle dans le Livre de Néhémie. Puis au 15ème siècle en France, à travers ce document exigé « pour passer une porte », formalité requise pour pénétrer dans les villes fortifiées. A la suite de la Révolution française, la Constitution de 1791 avait consacré la triple liberté fondamentale d’aller, de rester, de partir, garantie à tout homme ou femme libre.
C’est à partir du 19ème siècle - avec l’essor des États-Nations soucieux de contrôler les mouvements migratoires de plus en plus nombreux - que le « bout de papier » deviendra progressivement essentiel pour espérer jouir de sa liberté de circulation. Symbole du monopole étatique et marqueur fort de tout pouvoir, la réglementation liée au passeport et aux visas a donné aux gouvernements le pouvoir de réguler finement l’étendue du droit et la durée du séjour des personnes étrangères sur son territoire.
Albert Cohen savait aussi - pour avoir évolué au sein du fonctionnariat et de la diplomatie internationales à partir des années 20 – que n’était pas « apatride » ou « réfugié » qui voulait.
Bien qu’à la retraite au moment de la signature des Conventions de Genève de 1951 sur les réfugiés et de 1954 sur les apatrides - Cohen savait que ces textes majeurs - en préparation du temps de son activité intense à Londres puis à Genève - allaient garantir du moins « sur le papier » les droits des réfugiés et des apatrides.
De nos jours, des pans conséquents de l’humanité (environ cent millions de personnes en 2022) se mettent en marche en quête de sécurité matérielle ou physique après avoir été ou craignant - à raison - d’être persécuté du fait de la race, sa religion, la nationalité, l’appartenance à un certain groupe social ou des opinions politiques. Même si Cohen n’ignorait pas les avantages mais aussi les inconvénients liés à la généralisation du passeport et des visas, il ne pouvait deviner à quel point les règlementations internationales modernes engendreraient des difficultés nouvelles à circuler librement pour les réfugiés et apatrides contemporains :
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Les formalités d’obtention des visas sans lesquels le passeport du réfugié ou de l’apatride redevient un simple « bout de papier » sont encore trop souvent insurmontables ;
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Le « bout de papier » même revêtu d’un visa ne sert à rien s’il n’est pas lisible par une « machine » ;
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Les caractéristiques électroniques et biométriques embarquées dans les passeports que vous avez dans vos poches et tiroirs ne sont pas « inscriptibles » sur tous les formats actuels des passeports délivrés aux réfugiés et apatrides dans le monde.
Que ferait Albert Cohen s’il était vivant aujourd’hui ? Ne se battrait-il pas pour garantir un même niveau de liberté de mouvement et une même charge de contraintes administratives au ressortissant comme au réfugié en règle d’un même Etat ?
Eh bien la Fondation Mémoire Albert Cohen, nous sommes convaincus qu’il se battrait.
Notre programme est ambitieux mais il tient néanmoins en quelques lignes :
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Faire signer les conventions de Genève aux États qui ne l’ont pas encore fait ;
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Faire reconnaître et accepter par tous les États signataires, la qualité indéniable de réfugié ou d’apatride au porteur du passeport régulièrement émis entrant ou séjournant légalement sur leur territoire ;
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Réduire les conditions limitatives dans le temps et dans l’espace les visas pour les rendre valides pour des motifs tels que le travail, la poursuite d’études ou encore le regroupement familial dans tous les pays signataires ;
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Mettre à disposition des passeports lisibles à la machine et conformes aux standards de l’Organisation Internationale de l’Aviation Civile, en matière de caractéristiques électroniques et biométriques.
Notre Fondation, consciente des enjeux éthiques et politiques du droit à la mobilité des réfugiés souhaite agir utilement en se fixant les objectifs suivants :
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Recenser par État ou groupes d’États les obstacles techniques existant en matière d’effectivité des droits attachés au statut de réfugié ou d’apatride ;
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Mettre à disposition des États et groupes d’États un ou une Experte juridique - un Amicus Curiae - en capacité de faire valoir en tout lieu, la force contraignante des dispositions légales.
C’est pourquoi, nous nous sommes fixés pour objectif en octobre 2021 à Genève de constituer progressivement, puis de réunir régulièrement et de manière itinérante à Corfou, Genève, Londres et Paris, le Réseau international des Amici Curiae afin de le doter - à terme - des pleines capacités techniques et matérielles pour agir localement au plus près des besoins des personnes privées de leur droit de se déplacer.
Nous vous tiendrons bien sûr informés ici de ces avancées !
Bien à vous,
Max MAMOU
Président
Genève, 16 mai 2023
4 actions centrales
Conformément à l’engagement humaniste d'Albert Cohen à travers sa contribution aux Accords de Londres de 1946 et pour l’avènement de la Convention de Genève de 1951, la fondation poursuit les buts suivants :
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Proposer aux publics scolaires et universitaires, aux membres d'organisations non gouvernementales des ressources utiles à l'appréhension du droit d'asile des Etats.
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Soutenir des écrivains persécutés pour leur liberté d’expression.
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Ancrer l’action et l’œuvre d’Albert Cohen depuis un lieu de mémoire dédié.
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Réunir un comité d’experts de la fondation (Art 4), soit les amici curiae, des professionnels du droit international public.